Le texte présenté ci-dessous est un article publié dans le Chicago Tribune, le principal Quotidien de Chicago et du Midwest américain mais aussi l'un des dix principaux quotidiens des États-Unis.

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Peu d'employés de compagnie d'assurance peuvent se targuer d'aider à démêler les secrets de l'Univers pendant leur temps libre.

Jeff Renkar, lui, le peut.

Jour et nuit, la puissance de calcul des 6 PC du domicile de Renkar, en banlieue de Houston, est mise à contribution dans le cadre d'un nouveau projet de l'université de l'Illinois appelé Cosmology@home, l'objectif est de calculer de complexes simulations des débuts de l'Histoire de l'Univers.

Au cours des huit années écoulées depuis que l'institut SETI, basé en Californie, a eu l'idée d'intégrer à nos économiseurs d'écran un logiciel permettant de filtrer le bruit radioélectrique en provenance de l'espace pour chercher d'éventuels signaux provenant de civilisations extra-terrestres, quelques 40 groupes de recherche ont lancé des projets basés sur le même principe. Des centaines de milliers d'ordinateurs ont été enrôlés pour étudier comment les protéines se replient, chercher de nouveaux nombres premiers et simuler les changements climatiques, entre autres efforts.

Cette stratégie fondée sur Internet est en train de changer la façon dont les scientifiques se représentent leurs grands projets informatiques.  

Jeff Renkar

Jeff Renkar observe son ordinateur en pleine étude de l'Univers

(Photo : Margaret Bowles pour le Chicago Tribune, 6 décembre 2007)

Exploiter la capacité de traitement inutilisée de réseaux d'ordinateurs individuels, c'est s'offrir la puissance d'un onéreux superordinateur pour une fraction de son coût et permettre aux chercheurs de réduire le temps d'attente de leurs calculs de quelques années à quelques jours.

Ces études basées sur le "calcul bénévole" ont également engendré une étrange culture mondiale, des amateurs enthousiastes qui apportent leurs propres passions et la puissance de l'outil collaboratif qu'est Internet aux domaines scientifiques les plus raffinés.

Tout comme Renkar, ils aiment pousser les limites de leurs ordinateurs tout en apportant leur contribution aux sciences fondamentales ou à la chasse aux nouveaux remèdes.

De nombreux bénévoles sont des programmeurs ou des chercheurs, mais d'autres n'ont pour toute connexion à ces projets que leur propre enthousiasme. Ils vivent aux quatre coins du monde, de Suède au Sahara, du Timor-Oriental à Los Angeles. Ceux qui soutiennent le projet de l'Université de l'Illinois sont conducteur de train en Grande-Bretagne, gardien de prison retraité de l'Oklahoma et passionné d'astronomie, et même "commandant" d'un fan club de "Star Trek" à Des Moines (Iowa).

Autrefois un passe-temps, maintenant une mission

Pour Renkar, un natif de Chicago qui a passé son enfance dans le quartier Sud-Ouest à construire ses propres télescopes, contribuer à l'étude des origines de l'Univers c'est réaliser un rêve d'enfant. Ce qui a commencé comme un passe-temps occasionnel est devenu pour lui comme une mission.

Renkar raconte : "J'ai toujours eu l'âme d'un scientifique. Maintenant, j'ai vraiment l'impression d'aider la science à produire de nouveaux résultats et à réaliser des découvertes."

Pour rejoindre les projets, les propriétaires d'ordinateurs téléchargent un programme qui permet à leurs ordinateurs de travailler sur des petits morceaux d'un plus grand problème scientifique. Quand un PC finit un fragment du calcul, il l'envoie pour vérification puis insertion dans la base de données des résultats.

Une de ces initiatives a fait les yeux doux aux joueurs sur console PlayStation 3 de Sony, qui contient un processeur graphique puissant. Une étude des protéines à l'Université de Stanford sous-traite maintenant une majorité de ses calculs à ces consoles.

"Je fais des dons à d'autres causes, et j'ai simplement considéré cela comme une donation à la science et à la société", déclare Cory Parker, un technicien en assurance-qualité d'Inverness qui fait tourner le logiciel Folding@home sur ses quatre consoles de jeux Sony. Il n'utilise qu'une seule PlayStation pour les jeux, les trois autres sont des machines endommagées qu'il a acheté au rabais juste pour promouvoir la recherche.

Le nombre incroyable de personnes nécessaires pour que de tels projets en vaillent la peine peut être décourageant, avouent certains chercheurs. Folding@home, qui a débuté en 2000 et qui est l'une des plus grandes tentatives, mobilise en permanence quelques 250 000 ordinateurs.

Garder intact l'excitation de tous ces volontaires pour les questions souvent obscures que ces projets sont sensés résoudre est un défi majeur, explique Benjamin Wandelt, professeur de physique à l'Université de l'Illinois et directeur de cosmology@home.

"C'est de l'informatique démocratique, donc basée sur la bonne volonté de quelques personnes de tous horizons et de toutes origines," s'enthousiasme Wandelt "Si en tant que chercheur, vous ne savez pas communiquer au grand public ce qui rend votre recherche intéressante, ce genre de programme n'est probablement pas fait pour vous "

Wandelt a voulu tester comment des changements mineurs des conditions initiales après le Big Bang auraient pu affecter notre Univers des milliards d'années plus tard. Savoir comment fonctionne ce processus pourrait en apprendre plus aux physiciens sur ce que notre propre Univers a dû être à ses débuts.

Pour répondre à cette question, l'équipe de Wandelt exécute des milliers de simulations de l'évolution cosmologique et joue sur différents paramètres des conditions initiales, telles que la vitesse de l'expansion de l'Univers ou la quantité de certaines particules fondamentales.

Mais il a constaté que la première série de simulations devait prendre environ 300 000 heures de temps de calcul -- soit 30 ans d'utilisation d'un simple ordinateur de bureau. En distribuant la corvée de calcul à 2 800 utilisateurs de 78 pays, Wandelt et son équipe ont accumulé plus de 300 000 heures calculs en seulement six mois.

Un fantastique intérêt

"Je pensais que les gens seraient enthousiastes, mais leur réaction a dépassé toutes nos espérances" confie Wandelt. Il précise que 100 personnes s'étaient déjà inscrites sur le site internet de son projet avant même qu'il n'ait eu le temps de le dévoiler au public.  

Kathryn Marks une américaine enseignant l'anglais langue étrangère en Corée du Sud, assure qu'elle avait décidé d'aider l'Université de l'Illinois en raison de sa "soif naturelle de connaissances."  

Et elle ajoute : "De toujours, j'ai admiré les étoiles en me demandant d'où nous venions et où nous allions"

Pour certains bénévoles, les projets en ligne peuvent devenir une obsession.

"C'est un passe-temps. Une drogue", écrit dans un courriel le belge Guy Pauwels, inconditionnel de Folding@home. Il explique qu'il appartient à une équipe de "plieurs", comme ils se nomment eux-mêmes, et qu'ils organisent des compétitions avec des équipes d'autres pays pour voir qui aura l'ordinateur qui abattra le plus de travail.  

Les programmes tels que Folding@home font subir aux PC les tests de performance les plus exigeants, comme le soulignent de nombreux utilisateurs. Accumuler un panel impressionant de résultats de calculs est leur symbole de réussite, et cela leur rapporte des "points" -- statistiques sans aucune valeur, si ce n'est d'être le gage de leurs prouesses informatiques.

Pour engranger encore plus de points, de nombreux bénévoles n'achètent des ordinateurs que dans le but de les utiliser pour leurs projets. Le Dr. Michael McCord, un anesthésiste à la retraite de Beaumont au Texas, avoue qu'il possède 7 PC qui font tourner à plein temps le logiciel de Folding@home. Et de nombreux utilisateurs consacrent encore plus d'ordinateurs à la cause.

"C'est la compétition et la camaraderie qui m'ont intéressé", ajoute McCord. "J'ai la chance de pouvoir me permettre une telle facture d'électricité."  

Ce niveau de dévouement fut une surprise pour David Anderson, chercheur à Berkeley - Université de Californie et développeur de SETI@home et du cadriciel utilisé par nombre de nouveaux projets. Il explique qu'il aimerait rendre le calcul bénévole tellement facile à utiliser pour les scientifiques que même un simple étudiant de 3ème cycle pourrait s'en servir pour se débarasser de fastidieux calculs.  

«Notre objectif est de faire du calcul bénévole un nouveau paradigme», poursuit Anderson. "Ce pourrait être un outil de base vers lequel tout chercheur ayant besoin de grosses puissances de calcul pourrait se tourner."  

Jusqu'à présent, le calcul bénévole n'a pas encore changé la façon dont les physiciens pensent l'Univers et n'a abouti à aucun traitement concret contre une maladie, mais les chercheurs disent avoir publié des travaux fascinant sur cette approche. Wandelt de l'Université d'Illinois indique que son équipe vient de présenter sa première publication sur les résultats de Cosmology@home. Il explique qu'il a trouvé une façon de distiller ses données qui devrait permettre à d'autres cosmologistes de faire fonctionner plus rapidement des simulations de l'Univers primitif.

Vijay Pande, directeur de Folding@home, déclare que son équipe a publié 54 articles sur ses simulations du repliement des protéines. Pour fonctionner correctement, les protéines doivent se replier de manière très précise, et de nombreuses maladies peuvent découler d'erreurs de repliement, notamment la maladie d'Alzheimer et la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot). Le travail de Pande a pour but de révéler le détail de ces processus et de faciliter la conception de médicaments qui pourraient aider certaines protéines cruciales à se replier correctement.  

Cependant, toutes les questions des scientifiques n'ont pas vocation à être résolu par des milliers d'ordinateurs, chacun d'eux travaillant sur un minuscule bout du problème, dit Pande.  

"Une grossesse, ça prend neuf mois, mais vous ne pouvez pas rassembler neuf femmes pour faire cet enfant en un mois. Certains problèmes ne peuvent pas être divisés."