Voici un article paru dans le magazine scientifique Science News et qui aborde la modélisation climatique en général ainsi que le projet Climateprediction.net. Une des références est une lettre envoyée au journal Nature par David Stainforth et d'autres chercheurs de l'équipe de Climateprediction.net.

Le Dr Stainforth était le scientifique en chef du projet CPDN, il est maintenant à l'Environmental Change Institute de l'Université d'Oxford pour prétendre à un poste de Maître de conférences à l'Université d'Exeter. Plus de détails sur son CV .

Les modèles informatiques pourraient ne jamais être capables de prévoir avec exactitude le climat

Julie J. Rehmeyer

Les différentes modèles climatiques pourraient ne jamais produire des prévisions concordantes, même avec des améliorations spectaculaires de leur capacité à simuler la physique et la chimie de l'atmosphère et des océans. C'est la conclusion d'un rapport de James McWilliams, un mathématicien appliqué et scientifique spécialisé dans l'étude de la Terre à l'université de Californie à Los Angeles. Les mathématiques des modèles complexes fournissent la preuve que les modèles diffèreront toujours entre eux, argumente-il. Par conséquent, poursuit McWilliams, les personnes qui s'occupent de modéliser le climat doivent changer leur approche pour faire des prévisions.

Tous les modèles climatiques prévoient que la Terre va continuer à se réchauffer, mais dès que l'on pousse un peu plus loin l'analyse pour obtenir des informations plus détaillées, ils sont rarement en accord. Les meilleures prévisions varient de 10 à 20% voire plus. Pour des phénomènes particuliers, les variations sont bien plus importantes. Par exemple, les modèles climatiques sont en désaccord sur la question de savoir si les périodes sèches vont en moyenne durer plus ou moins longtemps.

Un test plus élémentaire d'évaluation de la fiabilité des modèles et de leur degré d'accord entre eux tient dans leur capacité à reproduire les modèles climatiques passés. Ils ne sont pas non plus entièrement capables de réaliser ceci. Ils peuvent reproduire assez précisément certaines tendances du climat passé, mais chaque modèle a ses propres inexactitudes. Par exemple, un modèle peut reproduire de façon satisfaisante la température mais fournir un travail bâclé pour reproduire les précipitations.

Bien que les modèles climatiques se soient énormément améliorés ces dernières années et se soient développés du point de vue de la sophistication, les divergences entre les prévisions demeurent toujours aussi importantes. Certaines de ces différences reflètent le désaccord entre les chercheurs au sujet des données scientifiques qui doivent entrer dans le modèle, mais même les modèles qui prétendent dépeindre le climat avec la même méthode et à partir d'un point de départ donné ne produisent pas avec précision les mêmes résultats. « Ceci doit être compris comme une des limites inhérentes aux modèles de ce calibre sur une question de ce type, plutôt qu'une mesure de l'immaturité ou de l'inexactitude des modèles, » explique McWilliams.

 

Climateprediction.net est un projet de recherche qui utilise les ressources informatiques non utilisées des volontaires pour calculer plus de 170.000 versions différentes d'un modèle climatique donné. L'étude de la variation des résultats pourra aider les chercheurs à comprendre les divergences entre les différents modèles climatiques.

 

Le problème s'expose de la même manière que le désormais célèbre "effet papillon," mais à une échelle différente. En 1972, le mathématicien et météorologiste Edouard Lorenz expliquait que le battement de l'aile d'un papillon au Brésil pourrait déclencher une tornade au Texas. Cette image résume la notion que dans les systèmes chaotiques comme le temps qu'il fait, d'infimes variations entre deux situations initiales peuvent conduire à des situations finales extrêmement différentes.

Ce phénomène est bien connu dans les prévisions météorologiques, et cela explique pourquoi même les meilleures prévisions météorologiques sont inexploitables après une ou deux semaines. Mais dans la prévision du climat, l'effet papillon joue un rôle plus marginal, car sur une année ou une décennie, les situations finales imprévisibles tendent à s'équilibrer.

McWilliams soutien, cependant, que les modèles climatiques sont sujet à un effet chaotique semblable mais à une échelle différente. Les légères variations dans la manière dont les effets physiques sont calculés et arrondis, en lieu et place des variations des conditions initiales, peuvent mener à des scénarios futurs extrêmement différents. Ce phénomène s'appelle " l'instabilité structurelle". Si les modèles climatiques sont effectivement en soi structurellement instables, alors deux simulations extrêmement précises des processus physiques de l'atmosphère et des océans produiront presque toujours des prévisions qui diffèreront sensiblement. Dans ce cas, il est peu probable que les modèles de prévision climatique soient en accord sur la durée.

McWilliams n'est pas en mesure de démontrer que les modèles climatiques sont structurellement instables, mais il soutient, dans l'édition du 22 mai du journal Proceedings of the National Academy of Sciences, que tous les indices pointent dans cette direction. McWilliams poursuit : "Bien que nous n'ayons pas à disposition tous les modèles possibles que nous ou nos enfants pourraient faire,  nous pouvons commencer à voir que ces modèles ne convergeront pas vers une réponse exacte, et les prévisions climatiques ne sont pas susceptibles de parvenir à un commun accord que nous entrons dans une ère de changement climatique. »

Néanmoins, les modèles climatiques produisent une information précieuse. Les modèles ont apporté des améliorations majeures dans la compréhension par les scientifiques de la dynamique du climat. En outre, McWilliams indique que les divergences entre les modèles n'infirment pas la conclusion la plus fondamentale des modélisations climatiques : l'augmentation des gaz à effet de serre émis par l'activité humaine réchauffe la Terre et cela continuera à en être ainsi. Il note qu'aucun modèle climatique crédible pourrait ne pas tirer cette même conclusion. "De nombreux climatologues ont tenté de produire un modèle qui ne montrerait pas un réchauffement climatique futur et personne n'a été en mesure de faire cela de manière crédible".

McWilliams soutient, cependant, que les personnes qui s'occupent de la modélisation du climat doivent changer leur approche en produisant des prévisions quantitatives. « Concrètement, cela implique que les gens ne devraient pas attendre ou convoiter le modèle parfait  » ajoute-t'il. Au contraire, les scientifiques devraient explorer tous les comportements possibles que les modèles climatiques peuvent avoir en faisant systématiquement varier la manière dont les modèles sont construits pour voir toutes les prévisions qu'ils pourraient faire.

Dans cette optique, les chercheurs ne produiraient pas un seul nombre pour prévoir par exemple la température globale moyenne qui résulterait du doublement des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Au lieu de ça, une série de milliers de modèles produiraient des probabilités pour un éventail de températures possibles.

Certains chercheurs ont déjà commencé à s'adapter à cette vision. Un groupe de l'université d'Oxford en Angleterre fait fonctionner un projet appelé Climateprediction.net qui utilise la puissance de calcul des volontaires partout dans le monde pour calculer environ 150.000 variations d'un modèle climatique que les chercheurs ont développé. La première série de résultats a prouvé que les modèles climatiques peuvent prévoir une gamme beaucoup plus large de scénarios possibles sur le réchauffement climatique que ce que les modèles avaient précédemment montrés. À l'intérieur des modélisations plausibles effectuées par le groupe d'Oxford, la température globale pourrait s'élever au plus de 11°C si les niveaux de CO2 dans l'atmosphère étaient doublés. C'est beaucoup plus que la fourchette de 2°C à 5°C prévue par le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Des résultats si extrêmes sont peu probable, même si...

Néanmoins, l'argument de McWilliams est controversé dans la communauté. Reto Knutti, un modéliseur climatique de l'université de Berne en Suisse, indique qu'il s'attend, avec le temps, à ce que les modèles apportent des réponses de plus en plus similaires. Il argue du fait que les scientifiques ont développé de nouveaux modèles ces cinq à dix dernières années qui ne sont pas aussi sophistiqués que quelques modèles plus anciens qui ont été développés sur plusieurs décennies, ce qui fait que la dispersion semble plus importante que ce qu'elle devrait être autrement.

Mais McWilliams indique que la communauté des climatologues doit s'attaquer maintenant à cette question pour s'assurer que les modèles sont capables de fournir des réponses aux questions qui leurs sont posées. Il compare son argument à la preuve de Kurt Gödel selon laquelle certains rapports mathématiques ne sont ni prouvables ni réfutables. Le théorème d'incomplétude Gödel, conclut McWilliams, « résonne comme un avertissement : il faut s'assurer que vous vous posez les bonnes questions avant de vous esquinter à trouver les réponses. »

 

Références:

McWilliams, J.C. 2007. Irreducible imprecision in atmospheric and oceanic simulations. Proceedings of the National Academy of Sciences 104(May 22):8709-8713. Disponible à l'addresse suivante : http://www.pnas.org/cgi/content/full/104/21/8709.

Moreira, N. 2005. The wind and the fury. Science News 168(Sept. 17):184-186. Disponible à l'addresse suivante : www.sciencenews.org/articles/20050917/bob8.asp.

Perkins, S. 2007. From bad to worse: Earth's warming to accelerate. Science News 171(Feb. 10):83. Disponible à l'addresse suivante : www.sciencenews.org/articles/20070210/fob1.asp.

Peterson, I. 2000. Great computations. Science News 157(March 4):152-153. Disponible à l'addresse suivante : www.sciencenews.org/articles/20000304/bob9.asp.

Stainforth, D.A., et al . 2005. Uncertainty in predictions of the climate response to rising levels of greenhouse gases. Nature 433(Jan. 27):403-406. Disponible à l'addresse suivante : http://dx.doi.org/10.1038/nature03301.

Vous pouvez rejoindre l'expérience Climate prediction.net à l'addresse suivante : http://climateprediction.net/.