Le Dr Sylvia Knight et ses collègues de l'université d'Oxford viennent de publier un article dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (la 2ème revue scientifique la plus citée ces dix dernières années) au sujet de la relation entre les nuages et la sensibilité des modélisations climatiques. La publication est résumée dans un article du journal The Economist : Grey-sky thinking

Voici la traduction de cet article :

Réflexion sur la grisaille

5 juillet 2007

The Economist

Sans connaissances sur les nuages, la compréhension du climat devient difficile. Or les nuages sont une des composantes de l'atmosphère les moins bien cernées.

 

"NUAGEUX" Cette métaphore n'est pas une si mauvaise description de la climatologie. Les grandes tendances sont claires, mais les détails restent obscures. Quoi qu'il en soit, cette description n'est pas simplement métaphorique. De tous les éléments influant sur le climat, et qui doivent donc être pris en compte dans les modèles, les nuages sont les plus sombres.

L'amélioration de ces connaissances est l'objectif de deux récentes missions de la NASA, l'administration nationale américaine de l'aéronautique et de l'espace. La première mission, un satellite appelé Aeronomy of Ice in the Mesosphere (aéronomie de la glace dans la mésosphère), ou AIM, a été lancée en avril pour étudier les nuages dits noctulescents (représentés sur l'image ci-dessus), les nuages les plus hauts dans l'atmosphère terrestre. Ces dernières années, leurs apparitions se font plus fréquentes et plus brillantes, ils semblent aussi se déplacer à des altitudes plus basses. La seconde mission, le projet Tropical Composition, Cloud and Climate Coupling (TC4), débutera le 16 juillet. Il utilisera un radar, des ballons-sondes et un avion pour étudier le rôle d'un autre type de nuage de haute altitude : les cirrus, qui précède généralement l'arrivée d'un front chaud. Entretemps, un article, publié cette semaine dans les Proceedings of the National Academy of Sciences par Sylvia Knight et ses collègues de l'université d'Oxford, souligne à quel point la sensibilité des modélisations climatiques est dépendante de la couverture nuageuse.

La relation que le Dr Knight étudie, entre les nuages et ce que les chercheurs appellent la sensibilité climatique (une mesure de la variation qu'un forçage donné est susceptible de changer le climat), est évident depuis maintenant près de 20 ans. Mais comme les nuages prennent différentes formes à différentes échelles - allant des gouttelettes d'eau microscopiques aux fronts de plusieurs milliers de kilomètres d'envergure - il est extrêmement difficile de les incorporer dans des modèles qui calculent le comportement de morceaux "virtuels" de l'atmosphère de 100km de large sur 100 km de haut.

Chargé d'incertitude

Ce n'est que tout récemment que des collaborations internationales telles que le Cloud Feedback Model Intercomparison Project (CFMIP) et le Cloud System Study of the Global Energy and Water Cycle Experiment ont débuté une comparaison systématique des effets des nuages sur une douzaine de modélisations climatiques parmi les plus signicatives, pour permettre à des chercheurs de commencer à résoudre avec précision le rôle joué par les nuages dans le changement climatique. Dans un récent article publié dans le journal Climate Dynamics, Mark Webb et ses collègues du Centre Hadley sur les changements climatiques (Hadley Centre for Climate Change) ont souligné que les nuages participaient à 66% aux différences entre les membres d'un groupe significatif de modèles dont 85% par rapport à d'autres groupes.

Ces résultats ont maintenant été complétés par le projet du Dr Knight, qui s'est servi de climateprediction.net, un réseau de PC individuels sur lequel du temps de calcul processeur est volontairement offert par les internautes, et qui a permis d'accumuler 57.000 versions différentes d'une modélisation climatique globale développée par le centre Hadley. Sylvia et ses collègues ont constaté que 80% de la variation de la sensibilité climatique prévue était due à la façon dont les nuages étaient détaillés dans le modèle. Les caractéristiques des nuages sont par exemple des différences dans la facilité avec laquelle l'air humide des tropiques voyage dans la haute atmosphère, la vitesse de formation des gouttes de pluie et le taux d'humidité exigé pour la formation des nuages. Chacun de ces détails a un impact important sur l'ampleur du réchauffement climatique prévu.

La raison pour laquelle les nuages influent tellement sur le climat et que leur rôle est si délicat à déterminer tient au fait qu'ils jouent deux rôles contradictoires. À basse altitude, ils contribuent à refroidir la Terre en reflétant la lumière du soleil dans l'espace. Aux altitudes élevées étudiées par les missions AIM et TC4, ils emprisonnent la chaleur des rayons du soleil, et contribuent au réchauffement.

Actuellement, de nombreux chercheurs pensent que se sont les nuages de basse altitude qui importent le plus. Dans sa première phase, les participants au CFMIP ont analysé un sous-ensemble de 23 modèles utilisés pour compiler le récent rapport du Panel intergouvernementale sur le changement climatique. Ils ont conclu que les modifications des paramètres des nuages de basse altitude ont contribué à la plupart des différences dans l'ampleur du réchauffement climatique prévu par ces modèles. Et dans un article publié il y a deux ans dans le Geophysical Research Letters, Sandrine Bony et Jean-Louis Dufresne ont noté qu'une analyse de 15 modèles climatiques laissait suggérer que les nuages de basse altitude au-dessus des océans contribuent à la plupart des incertitudes relatives à l'influence des nuages tropicaux sur ces modèles. Les nuages de basse altitude apparaissent comme un facteur prépondérant, car ils sont plus répandus et parce qu'ils reflètent mieux la chaleur du soleil vers l'espace, les nuages d'altitude piégeraient moins bien la chaleur que les nuages de basse altitude la reflète. Cependant, les résultats de AIM et du TC4 devraient modifier cette vision - ce qui est d'ailleurs la raison principale de leur lancement.

Il est certain que les seuls projets de modélisation comparative ne résoudront pas le problème des nuages. Trop de choses restent toujours inconnues au sujet des mécanismes physiques qui déterminent le comportement des nuages. C'est pourquoi de nouvelles observations plus précises sont nécessaires pour améliorer les hypothèses centrales sur lesquelles les modèles se fondent. Le projet TC4 produira de nouvelles données sur les cirrus constitués de cristaux de glaces et qui se forment dans la haute atmosphère par des systèmes convectifs, les orages où les fronts chauds fusionnent au-dessus des eaux chaudes des tropiques. En étudiant ces nuages sous tous les angles et à chaque stade de leur cycle de vie, les chercheurs espèrent en apprendre plus sur la façon dont ces orages, qui peuvent transporter l'air sur plus de 13km au-dessus de la surface de la Terre, contribueront au changement climatique dans un contexte de réchauffement climatique.

En plus des campagnes TC4 et AIM, une constellation de satellites de la NASA appelée A-train fournira un aperçu d'ensemble par une coupe transversale des nuages. Un de ces satellites, CloudSat, a donné les premiers aperçus du centre des nuages dans l'atmosphère de la Terre. Avant cela, les météorologistes étaient limités à un aperçu de haut en bas ou de bas en haut des nuages. Jusqu'au mois d'avril 2006, où le radar de CloudSat a pu fournir une coupe transversale des couches moyennes, une partie de l'atmosphère qui n'avait encore jamais été observée.

Un autre satellite de la constellation A-train, Cloud Aerosol-Lidar and Infrared Pathfinder Satellite Observation (CALIPSO) - qui a été lancé simultanément avec CloudSat - permettra de cartographier les différentes couches composées de petites particules appelées "aérosols" qui favorisent la formation des nuages. De telles particules agissent comme des noyaux qui condensent la vapeur d'eau en gouttelettes dont des nuages sont composés.

Les aérosols naturels sont produits par le sel de mer, la poussière du désert, les éruptions volcaniques et la fumée produite par les feux de forêt. Des aérosols sont également libérés par la circulation automobile, la fabrication de produits chimiques et la combustion des carburants fossiles. Les mécanismes qui permettent à ces particules d'être propulsées dans la haute atmosphère sont encore peu connus, de même que leurs effets sur le climat sont encore peu cernés. CALIPSO aidera à corriger cela. Il a déjà produit des images des panaches volcaniques produits lorsqu'il y a un an, une partie du volcan Soufrière sur l'île de Montserrat s'est effondré, propulsant des nuages de cendre dans la haute atmosphère. De telles observations, une fois combinées avec les modèles, devraient apporter un peu de clarté dans la compréhension des nuages.